Les droits de la femme au Maroc : avancées et limites

La journée internationale de la femme célébrée le 8 mars nécessite d’apporter quelques éléments de réponse à la question de savoir quelles sont les avancées et les limites des droits de la femme dans l’arsenal législatif marocain, en se basant sur les recommandations et les observations présentées au Maroc, par le Conseil des droits de l’homme de Genève, lors de l’Examen Périodique Universel.
Le mécanisme du Conseil des droits de l’homme de Genève a pour but l’évaluation de la situation des droits humains dans tous les Etats membres des Nations Unies, et du respect de leurs engagements dans les conventions internationales des droits de l’homme.
Le Maroc a été examiné à quatre reprises par l’EPU : en avril 2008, juin 2012, mai 2017 et décembre 2022, dans lesquelles le Conseil des droits de l’homme a reconnu les progrès réalisés par le Maroc en matière des réformes constitutionnelles.
Dans ce sens, l’article 19 de la Constitution stipule que l’homme et la femme jouissent à égalité des droits et libertés à caractère civil, politique, économique, social, culturel et environnemental, énoncés dans la constitution ainsi que dans les conventions et pactes internationaux dument ratifiés par le Royaume…
Aussi, l’article 19 précise que l’Etat marocain œuvre à la réalisation de la parité entre les hommes et les femmes, en s’inspirant d’une part de l’attachement mentionné dans le préambule, aux droits de l’homme tels qu’ils sont universellement reconnus et de combattre en d’autre part toute sorte discrimination à l’encontre quiconque en raison du sexe…
Cependant, plusieurs questions des droits de la femme ont été soulevées par le Conseil des droits de l’homme de Genève dans les recommandations et les observations présentées au gouvernement marocain, telles que la violence à l’égard des femmes, la situation des femmes domestiques, le mariage des filles mineures…
Le Maroc a soulevé dans son rapport officiel, lors de la session de 2008, qu’il s’est engagé à harmoniser la législation nationale avec l’article 16 de la CEDAW (la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes) « qui reconnait l’égalité entre les conjoints dans toutes les questions découlant du mariage et dans les rapports familiaux ».
D’ailleurs, l’Etat marocain a fait recours au retrait de ses réserves sur (l’art 9§2) de la Convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes, relatif au droit de la femme à l’octroi de sa nationalité à ses enfants, puisque le Dahir 1958 du Code de la nationalité stipulait dans son article 6 « il est considéré comme marocain tout enfant qui est né d’un père marocain ». Mais depuis 2007 le Code a été révisé et la femme marocaine pourra octroyer sa nationalité à ses enfants.
Cependant, le gouvernement est invité au retrait de ses réserves sur d’autres dispositions de la CEDAW, notamment (l’art 15§4) qui concerne le droit de la femme de circuler librement et choisir sa résidence et son domicile et (l’art 16§2) qui fixe un âge minimal pour le mariage et de rendre obligatoire l’inscription du mariage sur un registre officiel.
Dans ce contexte, l’article 475 du Code pénal proposait même aux violeurs de se marier avec leurs victimes mineures. L’exemple fortement médiatisé est celui d’Amina Filali, l’adolescente âgée de 16 ans et originaire de Larache, s’est suicidée en mars 2012 afin d’échapper à un mariage forcé et abusif avec son violeur.
Il faut souligner, que le parlement marocain a voté le 22 janvier 2014, en faveur d’une révision de l’article 475 pour punir l’enlèvement d’un mineur par une peine de un à cinq ans de prison, alors que la dernière version proposait « le mariage comme solution lorsqu’une mineure enlevée épouse son ravisseur ».
En outre, le gouvernement marocain s’est félicité dans son rapport officiel présenté lors de la session de 2017, des efforts visant à promouvoir les droits des femmes, en indiquant qu’une la loi n° 103-13 est adoptée en juillet 2016, elle considère la violence familiale comme un délit de droit commun.
En réalité, cette loi a été critiquée par les ONG, parce qu’elle oblige les femmes victimes de violence familiale à engager elles–mêmes des poursuites pénales pour obtenir une protection. Alors qu’on voit mal dans la société marocaine conservatrice, une femme qui engage des poursuites à l’égard de son frère, son père ou son mari en cas de violence familiale.
Dans ce contexte, il est important de souligner que Le Haut-Commissariat au Plan a révélé les résultats de l’enquête nationale sur la violence à l’égard des femmes au Maroc, seules 8% des victimes de violence conjugale ont déposé une plainte auprès de la police ou d’autres autorités compétentes .
Dans ce sens, le Conseil des droits de l’homme a présenté au Maroc une recommandation qui vise l’accélération du processus d’adoption d’une loi essentielle pour la protection des femmes contre la violence conjugale y compris le viol conjugal.
Par ailleurs, le Conseil a souligné que plusieurs problèmes procéduraux et légaux bloquent l’enregistrement des enfants de mères célibataires, allant du manque de connaissance du processus chez les mères célibataires, voire même des autorités, ainsi que sa variation d’une commune à une autre.
Et seule la mère célibataire subit directement les effets de cette législation à cause de sa grossesse et notamment à l’hôpital où elle doit faire face à un interrogatoire de police. Ce qui explique pourquoi les mères célibataires abandonnent leurs bébés après la naissance. Sachant que, depuis 2002 les enfants de mères célibataires peuvent être inscrits au registre de l’Etat Civil (Loi 37-39 relative à l’Etat Civil).
Lors de la session de 2017, le Conseil des droits de l’homme a soulevé aussi, la question des filles domestiques ou « des petites bonnes », en précisant qu’il s’agit de 193.000 enfants âgés entre 7 à 17 ans, soit 2,9% de l’ensemble des filles de cette tranche d’âge.
Dans ce sens, une étude des ONG a indiqué que près de 45% des mères célibataires sont des anciennes petites bonnes. Les mauvais traitements infligés aux filles domestiques devenues mères célibataires sont courants, incluant toutes sortes de violence sexuelle. Cette étude a noté que la plupart des filles travaillant comme domestiques au Maroc proviennent de régions rurales pauvres.
En guise de conclusion: Nous allons faire référence à deux jugements contradictoires rendus par les tribunaux de Tanger en 2017, pour démontrer que la protection des femmes contre toutes sortes de violence est avant tout une question culturelle et pas une question de loi, ce qui nécessite l’engagement individuel de toutes les composantes de la société pour octroyer à la femme marocaine la place qu’elle mérite.
Le tribunal de 1ère instance de Tanger a reconnu le 30 janvier 2017 à un homme la paternité d’une petite fille, née d’une relation hors mariage. C’est un jugement juste et courageux surtout que les relations sexuelles hors mariage constituent un délit de droit commun. Le magistrat de ce tribunal de Tanger qui a rendu ce jugement sans précédent au Maroc: il s’est référé non pas au code pénal mais aux conventions internationales sur les droits de la femme et de l’enfant, ratifiée par le Maroc, et selon lesquelles les intérêts des femmes et des enfants sont primordiaux, d’autant plus, qu’en fournissant des tests ADN, la mère a prouvé l’existence d’un lien biologique qui permet à son enfant d’avoir officiellement un père.
Mais, le 12 octobre 2017, ce jugement du Tribunal de 1ère instance qualifié d »historique », a été annulé par la cour d’appel de Tanger, faute des articles sur lesquels a été basé ce jugement selon la règle لا اجتهاد مع وجود النص, alors que la constitution de 2011 considère que les conventions internationales sont prioritaires au détriment de la législation nationale, en matière des droits de l’homme.
* Professeur à la Faculté de Droit de Marrakech