Plan d’aménagement ou plan d’exclusion ? Quand Marrakech s’embellit en oubliant ses habitants

Derrière les discours lissés et les promesses d’un « développement durable », le nouveau plan d’aménagement de Marrakech-Ouest cache une réalité plus sombre : celle d’une ville qui se redessine sans ses habitants les plus fragiles. Alors que le conseil communal célèbre l’adoption à l’unanimité d’un document couvrant 40 % de la superficie urbaine, une question cruciale demeure ignorée : pour qui aménage-t-on Marrakech ?
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Plus d’un million de logements sont vides au Maroc, dont une majorité écrasante dans les grandes villes. À Marrakech, les loyers explosent : 3 600 à 7 000 dirhams pour une simple location, pendant que de nombreuses familles peinent à survivre avec moins de 5 000 dirhams par mois. Le droit au logement devient un luxe. Et pourtant, le nouveau plan d’aménagement semble détourner le regard de cette urgence sociale.
Plutôt que de remédier aux dysfonctionnements existants — comme les projets bloqués depuis des années, à l’image du tristement célèbre « Projet El Ghali » — le plan préfère miser sur la requalification de zones stratégiques pour attirer investissements, promoteurs et touristes. Le cœur de la ville, lui, reste laissé à l’abandon, et les habitants qui ont déjà versé jusqu’à 350 000 dirhams pour des logements qu’ils n’ont jamais reçus, continuent de vivre dans l’attente, la frustration et la précarité.
Plus grave encore : des zones agricoles enclavées dans le tissu urbain sont maintenues dans leur vocation rurale, sans solutions claires. Ce choix arbitraire risque de favoriser les spéculations foncières au détriment d’un aménagement inclusif et cohérent. On parle de flexibilité, d’adaptabilité des projets, mais ces termes techniques masquent souvent l’absence de volonté politique ferme d’affronter les enjeux réels du logement.
Le silence est également pesant sur le conflit d’intérêts incarné par la figure centrale de ce chantier : Fatima-Zahra Mansouri. À la fois ministre de l’Aménagement du territoire et maire de la ville, elle incarne une double autorité qui interroge. Cette concentration de pouvoir a-t-elle réellement permis d’accélérer les projets ? Ou a-t-elle plutôt brouillé les priorités au profit de logiques opaques où l’intérêt général est relégué au second plan ?
Pendant que Marrakech se prépare à accueillir la Coupe du monde 2030, les quartiers populaires attendent toujours des trottoirs, des routes, des logements décents. On inaugure des hôtels de luxe, mais on enterre silencieusement le droit au logement. La ville se transforme, oui, mais pas pour tout le monde.
Le plan d’aménagement de Marrakech-Ouest, tel qu’il est conçu, ressemble moins à une vision inclusive qu’à une opération de « relooking » urbain pensée pour les investisseurs et les touristes. Si l’on n’intègre pas de manière urgente une dimension sociale forte à ce genre de documents, Marrakech risque de devenir une ville vitrine, belle de loin, mais cruelle pour ceux qui y vivent.
Le rêve d’un logement digne se transforme peu à peu en cauchemar bureaucratique. Et tant que les décisions urbanistiques continueront d’exclure ceux qui ont le plus besoin d’être intégrés, on pourra légitimement dire que Marrakech n’est plus une ville à vivre, mais une ville à vendre.